Ethnicité

La probabilité de rencontrer quelqu’un d’origine immigrée est élevée, que ce soit dans la rue, à l’école, au travail. Pourtant à la télévision, cette probabilité diminue, et encore plus dans la publicité. En effet, la pub représente surtout des personnes blanches occidentales.

L’ethnicité désigne un groupe de personnes qui partagent une généalogie, une ascendance ou une nationalité réelle ou supposée. La diversité ethnique désigne la multitude de ces groupes dans une société donnée.

Aujourd’hui, un Belge sur six est issu de l’immigration. Chez les enfants jusqu’à 5 ans, c’est un sur trois. Parmi les Belges issus de l’immigration, un quart a des racines françaises ou néerlandaises, un autre quart est d’origine européenne, et les 50 % restants viennent de l’extérieur de l’UE.

La plupart des personnes immigrées sont reconnaissables à certaines caractéristiques ethniques extérieures ou à leur nom. À la télévision, ils s’appellent Stromae, Romelu, Baloji, Medhi, Fadila, Hadja, Loubna. Ils sont musiciens, sportifs, comédiens, politiciens ou journalistes (f/h/x).

Baloji aux Ardentes en 2016 (image: Wikipedia)
L’artiste Baloji
Loubna Azabal (image: Wikipedia)
L’actrice Loubna Azabal

Les personnes issues de l’immigration sont désormais mieux représentées dans les médias du service public. Un certain nombre de plans de politique de la diversité y ont veillé. Par exemple, dans les programmes télévisés et dans un certain nombre de séries télévisées.

À la télévision, ces visages et noms d’origine étrangère sont désormais familiers par rapport à il y a vingt ans. Ce sont des Belges en Belgique.

En revanche, sur le grand écran, la plupart des personnages principaux des fictions de cinéma (en particulier les productions hollywoodiennes) restent encore majoritairement blancs et masculins. Les personnes de couleur sont moins présentes et apparaissent encore de façon stéréotypée (comme paresseuses, peu fiables ou carrément criminelles)

Rôle secondaire

En Belgique, à la télévision et/ou sur Internet, les personnes de couleur sont sous-représentées dans les spots publicitaires. À l’exception de quelques rares spots télévisés avec une célébrité. Comme Romelu Lukaku dans le spot Kinder Bueno, où le célèbre Diable Rouge joue également le rôle principal.

Dans les autres spots, les personnes issues de l’immigration jouent un rôle secondaire. Dans ce cas, la personne de couleur est souvent seule dans un groupe de personnes blanches. Ce n’est pas un phénomène typiquement belge. C’est également le cas dans de nombreux autres pays occidentaux.

Norme de la blancheur

Le rôle principal dans la publicité est généralement attribué à des personnes blanches. Des gens qui forment une famille, qui mangent et boivent, nettoient, vont aux toilettes, prennent soin de leur corps, travaillent, étudient, s’adonnent à des activités de loisirs et s’amusent…


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Bien sûr, ces scènes reflètent la vraie vie. Cependant une partie du tableau est gommée. Car dans la vie réelle, il y a aussi des familles belges d’origine étrangère. Elles sont rarement représentées dans la vie privée ou professionnelle. Cela donne l’impression que les personnes issues de l’immigration ne sont pas intégrées et ne font rien pour s’intégrer.

De plus en plus inclusif

Néanmoins, les choses progressent. Si les familles issues de l’immigration restent invisibles dans la publicité, les couples ou familles mixtes commencent à être représentées.

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Ainsi, il semble que la pub et le marketing répondent à moitié à la demande d’une représentation équilibrée des personnes issues de l’immigration. Sans oser aller jusqu’au bout. La raison n’est pas encore claire et cette question n’a pas encore fait l’objet de recherche.

Une des hypothèses est la crainte d’éloigner le consommateur·trice afrophobe. Une autre hypothèse est que le secteur de la publicité et du marketing est lui-même peu diversifié et dépeint avant tout un monde qui lui ressemble.

Par exemple, on voit rarement dans les publicités des adultes de couleur noire, d’origine maghrébine ou turque. Mais pas chez les bébés et les jeunes enfants, en revanche. C’est une question de sécurité. Pour la plupart des consommateurs, les bébés et les enfants sont de toute façon mignons, quelle que soit leur origine ou leur couleur de peau.

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Dans la publicité, les personnes d’origine latino-américaine ou asiatique sont presque invisibles. Et si elles entrent en ligne de compte, c’est davantage dans la pub pour l’industrie de la mode et de la cosmétique que pour les secteurs automobile, bancaire ou agro-alimentaire.

Auprès des personnes noires, les hommes se retrouveront surtout dans la publicité d’articles en lien avec le corps : les articles de sport, les parfums et les déodorants. Les femmes noires sont surtout présentes dans les magazines. Avec les femmes d’origine latino-américaine, elles font principalement la promotion pour des marques de mode et de cosmétique.

Symboles religieux

Cela a été répété à plusieurs reprises dans ce Point Info. La publicité et le marketing préfèrent jouer la sécurité et brusquer le moins de consommateurs possible. La pub et le marketing ne changent pas la société. Il s’agit de publicité commerciale, pas d’activisme…

Autrement dit, là où il y a de la xénophobie, où le port des symboles religieux est problématique, il n’y a qu’une faible probabilité que ces mêmes symboles apparaissent dans la publicité. Les professionnel·le·s veulent rester neutres dans ce domaine. Si neutre qu’en 2017, la chaîne de magasins Lidl a fait retirer numériquement les crucifix chrétiens de son emballage pour un yaourt grec.

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Toutefois, le revers de cette neutralité est que certaines personnes issues de l’immigration ne soient pas représentées dans la publicité et les médias.

C’est le cas des femmes portant le foulard. Davantage que dans le cas des femmes blanches et/ou chrétiennes, leur présence dans la publicité et les médias peut avoir un effet bénéfique. C’est une question de rôle modèle pour les autres : en tant que titulaire d’un diplôme d’enseignement supérieur, financièrement indépendante, représentée dans de nombreuses professions et membre à part entière de la société.

Stéréotypes racistes

Les États-Unis ont une longue histoire d’images publicitaires racistes. Pendant longtemps, les Noirs ont été dépeints comme des gens soumis, asservis et arriérés.

Au XIXe siècle, en particulier, il était courant de démontrer l’efficacité d’un savon en le frottant sur une peau noire. Cela voulait prouver la croyance raciste selon laquelle la peau noire symbolisait la saleté et la peau blanche la pureté.

Si les professionnel·le·s de la publicité et du marketing diffusent encore aujourd’hui cette vieille histoire d’“avant” et d’“après”, ce ”blanchiment” est non intentionnel et involontaire.

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Stearine, ca 1870-1900
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Par exemple, ces deux publicités pour Dove de 2011 et 2017. Elles semblent dire que le produit éclaircit la peau des femmes noires.

Mais quelles que soient les intentions, le résultat est le même : aujourd’hui ce type de publicité est jugé offensante dans le monde entier et ne passe plus.

Cependant, dans le cas de la publicité pour la cosmétique, il faut préciser que les peaux foncées sont systématiquement éclaircies de deux à trois nuances (voir idéal de beauté).

Stéréotypes sexistes

Dans la pub, là où il y a du racisme, le sexisme n’est jamais loin. Les recherches montrent que dans la publicité, les femmes noires, plus que les femmes blanches, sont animalisées, ce qui est objectifiant. Les femmes noires apparaissent également plus souvent que les femmes blanches avec la tête hors champ. Ce que les femmes pensent, ressentent ou ont à dire n’a pas d’importance, seuls comptent leurs corps (voir objectification).

Les femmes asiatiques sont généralement présentées comme exotiques, passives et soumises. Ce type d’image est également humiliant et objectifiant. Ceci est humainement méprisant et réducteur envers les femmes.

Quels préjudices ? Pour qui ?

La sous-représentation et les clichés sur les personnes issues de l’immigration portent préjudice à ces dernières, mais aussi aux personnes blanches.

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Les personnes issues de l’immigration reçoivent le message qu’elles sont citoyennes de seconde zone. Les personnes blanches, qu’elles sont la norme universelle. Que, contrairement aux personnes d’origine étrangère, elles seront valorisées en tant qu’individus dans tous les domaines de la vie en tant qu’individus.

La fréquence de leur présence dans la publicité et les médias garantit le privilège blanc : leur valeur et leur estime de soi, leur droit de parole, leurs choix, leurs actions… dans la société. Et ce, dès leur naissance.

D’autre part, la sous-représentation médiatique des personnes issues de l’immigration envoie le message que ces personnes ne font pas partie de la société.

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Cette sous-représentation dans la publicité et les médias place les personnes issues de l’immigration dans des cases. Par exemple, les cases “compte moins”, “moins de valeur” et “moins respectable”. Concernant les stéréotypes racistes, on les cases “subordonné”, “moins intelligents”, “moins beaux”, “serviteurs” et “paresseux”, en particulier pour les personnes noires. Quant aux journaux, les séries télévisées et les films, on y trouve les cases “profiteurs”, “peu fiables” et “voleurs” pour les personnes d’origine maghrébine.

Cependant, même les stéréotypes positifs, tels que “les Noirs sont de bons athlètes” qui circulent dans la publicité et les médias, ne sont pas innocents. Elles peuvent être tout aussi restrictives. D’autant plus que la publicité et les médias montrent peu d’autres exemples positifs auxquels on peut se référer en tant que personne issue de l’immigration, notamment lorsqu’il s’avère qu’on n’est pas bon en sport.


effets sur les personnes
issues de l’immigration

L’hypermédiatisation des personnes blanches et l’exposition aux stéréotypes racistes peuvent faire en sorte que les personnes issues de l’immigration se sentent indésirables. Et/ou qu’elles ne valent pas mieux que les stéréotypes dont elles sont l’objet.

Chez certaines, cela provoque des sentiments d’insécurité et un manque de confiance en leurs propres capacités. Chez d’autres, haine de soi et dépression peuvent survenir. Dans certains cas extrêmes, on rencontre une conduite conforme aux pires stéréotypes, avec affichage et/ou perpétuation de comportements douteux, voire criminels.

C’est une prédiction qui se réalise d’elle-même. On se considère comme “moins” par la publicité et les médias, on développe moins d’ambitions à l’école et sur le marché du travail. Ceci juxtaposé à une exposition aux rôles de genre traditionnels, à la discrimination vécue et à d’autres inégalités sociales fait que la prédiction se réalise. Vous êtes moins intelligent et trop paresseux pour travailler, comme l’avait prédit le stéréotype à votre sujet.

En outre, les personnes issues de l’immigration luttent constamment contre les stéréotypes et la perception — réelle ou ressentie —, de la discrimination dans l’éducation, le marché du travail, le marché du logement et les loisirs.

Par exemple, dans le cas des jeunes issus de l’immigration qui se voient refuser l’accès à une discothèque. Ou dans le cas de personnes portant un nom “étranger” dont les CV sont écartés d’office. La discrimination est-elle réelle ou imaginaire ?

Le simple fait de devoir poser la question à chaque refus crée une pression supplémentaire, de l’incertitude et surtout une méfiance accrue à l’égard de la majorité blanche. Cela polarise et/ou maintient la polarisation.

Parfois, il y a aussi un conflit interne, comme dans le cas d’une décoloration de la peau, de lissage de cheveux crépus, ou de l’“occidentalisation” du prénom et/ou du nom de famille. Il s’agit de solutions individuelles à un problème social afin de pouvoir être accepté·e. De telles solutions apportent du réconfort, mais sont en même temps un acte d’auto-reniement. Le fait de ne pas pouvoir être soi-même crée inévitablement des tensions.

effets sur les personnes occidentales

La surmédiatisation des personnes blanches leur donne le sentiment qu’il n’y a guère d’autres groupes ethniques ou que s’ils existent, ils ont peu d’importance.

Que les personnes blanches comptent davantage et, dans le cas le plus extrême, ont également le droit de refuser voire d’exclure les personnes issues de l’immigration. Par exemple, dans l’éducation, le marché du travail, le marché du logement et les activités de loisirs.

La recherche a montré :

  • que les enfants issus de l’immigration, plus que les enfants blancs, sont victimes de brimades ;
  • que les personnes originaires d’Afrique subsaharienne ayant un niveau de qualification élevé (études supérieures) sont plus souvent au chômage ou exercent en Belgique une profession qui se situe bien en dessous de leur niveau ;
  • comment les personnes blanches refusent l’achat et/ou la location d’un logement aux personnes issues de l’immigration ;
  • les chances réelles qu’un enseignant blanc, influencé par les stéréotypes et préjugés ambiants, note moins bien les enfants issus de l’immigration pour les tâches scolaires et/ou les examens ;

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  • comment les privilèges des personnes blanches (voir privilège blanc) favorisent la cécité face à la discrimination des minorités ethniques, et vice versa,
  • plus les représentations ethniques sont équilibrées dans la publicité et les médias, plus il y a de chance que les personnes blanches prennent conscience de leurs propres privilèges et voient les obstacles auxquels les personnes issues de l’immigration sont confrontées chaque jour.

Pour en savoir plus

Podcast Kiffe ta race – “#27 – Check tes privilèges blancs »
21 questions que se posent les Belges sur les migrations internationales au 21e siècle. Un livre de Jean-Michel Lafleur (Université de Liège) et d’Abdeslam Marfouk (IWEPS), disponible gratuitement sur https://news.uliege.be/21questions
Tarmac (RTBF) – Izi News – L’appropriation culturelle

Tarmac (RTBF) – Izi News – Blackface, folklore et traditions

Sources

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Harrison, R. L., Thomas, K. D., & Cross, S. N. (2017). Restricted visions of multiracial identity in advertising. Journal of Advertising46(4), 503-520.
Lafleur, J. M., Marfouk, A., & Fadil, N. (2017). Pourquoi l’immigration ? 21 questions que se posent les Belges sur les migrations internationales du XXIe siècle. Academia-L’Harmattan.
Martens, A., Ouali, N., Van de maele, M., Vertommen, S., Dryon, P., & Verhoeven, H. (2005). Etnische discriminatie op de arbeidsmarkt in het Brussels Hoofdstedelijk Gewest Brussel: Brussels Observatorium van de Arbeidsmarkt en Kwalificaties (pdf).
McIntosh, P. (1988). White privilege: Unpacking the invisible knapsack. Gender Through the Prism of Difference, 278.
Minderhedenforum vzw. ‘De stem van het minderhedenforum over media’. Brochure
Monitor Diversiteit 2018. Een kwantitatieve studie naar de zichtbaarheid van diversiteit op het scherm in Vlaanderen. VRT.
Pearce, L. (2017). Devolving identities: Feminist readings in home and belonging. Routledge.
Pearce, P. W. (2008). Bridging, bonding, and trusting: The influence of social capital and trust on immigrants’ sense of belonging to Canada. Atlantic Metropolis Centre.
Unia (2017). Dossier: discriminatie van personen van Sub-Saharaanse afkomst: sterk verbonden met het koloniale verleden.
Unicef (2012) Iedereen gelijke kansen op school? Dat denken zij ervan. Dossier, Unicef België.
VRT, Diversiteit
Wu, Z., Hou, F., & Schimmele, C. M. (2011). Racial diversity and sense of belonging in urban neighborhoods. City & Community, 10(4), 373-392.


FACT CHECK
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